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Le mémoire a été initialement rédigé en anglais et il a été spécifiquement traduit par l'autrice pour la publication exclusive sur le site Marvel World.
Mini-mémoire de recherche rédigé en 2016/2017 à l'Université Sorbonne Nouvelle – Paris III par CAMILLE OLIVAS (camille@olivas.net) dans le cadre de l’UE X8MERE (Master professionnel - Langues étrangères appliquées - M1 – Parcours MCCT) (méthodologie de la recherche) sous la direction de Madame THOLAS-DISSET.
Les comics de super-héros peuvent apparaître aux yeux de non-initiés comme de la littérature bas de gamme pour enfant. L’objectif de ce mémoire est de montrer, au travers de l’étude du personnage de Captain America, que les comics de super-héros sont plus subtils qu’ils n’y paraissent et qu’ils nous permettent de mieux comprendre la société américaine et les épreuves qu’elle traverse.
Captain America, le soldat à la puissance surhumaine, apparaît pour la première fois en 1940, un an avant l’entrée en guerre des Etats-Unis. Petit à petit, le personnage à la bannière étoilée, fervent protecteur de la démocratie et de la liberté, devient le symbole par excellence du patriotisme et du rêve américain, et ses comics sont devenus des objets de propagande à part entière.
Une fois la guerre terminée, le personnage, désœuvré, voit sa popularité décroitre au profit des comics d’autres genres et la série est arrêtée.
Captain America fait finalement son grand retour en 1964 grâce à Stan Lee, qui opère de nombreux changements dans la façon de traiter le personnage. Cap’ rompt avec le personnage parfait qu’il incarnait dans les années 1940 pour devenir un personnage complexe, en proie à de multiples questionnements sur la politique, le patriotisme, le racisme… Captain America est alors souvent qualifié de « libéral » (au sens américain du terme), car il reflète les mouvements progressistes qui émergent au sein de la société durant ces décennies, tels que l’anti-Establishment ou la lutte contre la ségrégation.
Ainsi, Captain America, qui incarnait le pouvoir exécutif dans les années 1940, tourne le dos à la Maison Blanche et se proclame le super-héros du peuple américain.
Les comics qui ont suivi les attentats du 11 septembre illustrent cette relation ambiguë entre Captain America et le gouvernement. La série écrite par John Ney Rieber est restée fidèle aux positionnements progressistes du Captain America de la seconde moitié du XXème. Dans son récit, le super-héros s’engage dans la lutte contre le terrorisme mais sans s’allier avec le pouvoir exécutif, et ne cesse de pointer la responsabilité du gouvernement dans les attentats. La série New Avengers: Marvel Salutes the U.S. Military, en revanche, fait renouer Captain America avec le gouvernement et l’armée. Cette série, envoyée directement aux soldats en mission au Moyen-Orient, a pour objectif de promouvoir l’intervention de l’armée américaine en Irak et d’apporter son soutien aux troupes. Soixante-dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, Captain America est à nouveau utilisé à des fins de propagande.
Alors, Captain America est-il finalement progressiste ou conservateur ? En faveur des politiques sécuritaires et de l’interventionnisme ou y-est-il opposé ?
La série Civil War, écrite par Mark Millar, tranche définitivement la question. Dans ce récit, Captain America s’oppose à la promulgation d’une loi privant les super-héros de leur anonymat et les forçant à travailler sous les ordres du gouvernement au sein d’une super-police. Captain America s’y oppose violemment, arguant que cette loi viole les valeurs fondamentales de liberté, de justice et de démocratie garanties par la Déclaration d’Indépendance de 1776 et dont il est le protecteur depuis 1940. Cet arc narratif est en réalité une référence au Patriot Act et au débat qui divise l’Amérique, mais aussi la France aujourd’hui : Doit-on sacrifier notre liberté au profit de la sécurité ?
Ainsi, on observe que Captain America, fervent défenseur du gouvernement américain dans ses premières années, est devenu au XIXème siècle l’instigateur d’un mouvement de désobéissance civile.
En conclusion, on voit que les comics de Captain America reflètent à chaque période de l’histoire les débats et questionnements auxquels la société américaine fait face. Symbole de l’unité nationale lors de la seconde guerre mondiale, Cap’ est à présent devenu celui de l’Amérique divisée.
Comme Randy Duncan et Matthew Smith l’évoquent dans The Power of Comics"ref-1">"#note-1">[1] (Le Pouvoir des comics), l’art narratif existe depuis la préhistoire, avec les peintures rupestres, et l’art séquentiel depuis l’Égypte et la Grèce antique, avec les hiéroglyphes et les urnes grecques. Mais le concept de bande dessinée ne fait sa première apparition qu’en 1827, en Suisse, avec Les Amours de Monsieur Vieux-Bois, de Rodolphe Töpffer. Cette forme d’art s’est par la suite répandue en Europe, Asie et Amérique, et est devenue très populaire auprès des enfants comme des adultes.
De l’autre côté de l’Atlantique, depuis la seconde moitié du 19ème siècle et l’alphabétisation de masse, la classe moyenne peut acheter des dime novels, des magazines populaires publiant de courtes histoires. À la fin du 19ème siècle, cette forme de loisirs bon marché devient les magazines pulp, qui publient à l’époque principalement de la science-fiction, des westerns et du polar. C’est grâce à ces magazines que des héros tels que Zorro, Tarzan, The Shadow et Black Bat voient le jour. Ces deux derniers personnages sont moins connus en Europe mais, en raison de leurs costumes et de leurs identités secrètes, ils représentent les ancêtres des super-héros tels qu’on les connaît aujourd’hui. Dans le même temps, des bandes dessinées sont régulièrement publiées dans les journaux. Dans les années 1930, un éditeur du nom de Max Gaines a l’idée de mélanger les concepts des magazines pulp et des bandes dessinées, et c’est ainsi que naît en 1933 le premier comic book, un magazine regroupant plusieurs bandes dessinées. Le succès est tel que l’idée se répand à grande vitesse et les intrigues deviennent de plus en plus complexes et élaborées. En raison de leur prix (10cts) et de la créativité des contenus, les comic books se vendent par millions chaque mois et deviennent un aspect majeur de la culture populaire des États-Unis"ref-2">"#note-2">[2].
En dépit de l’immense impact que les comics ont eu sur la classe moyenne et le fait qu’ils soient devenus un réel phénomène culturel influençant des générations entières, la plupart des individus ont une piètre opinion de ceux-ci. Ils sont en effet perçus comme des lectures pour enfants, et sont méprisés par les autres formes de narration, telles que la littérature. Néanmoins, les comics, et particulièrement les comics de super-héros, nous permettent d’identifier les enjeux auxquels fait face une société, d’analyser ses préoccupations et les débats qui animent la population. Des héros tels que Superman, Batman ou Captain America, existant depuis les années 1930 et 1940, nous permettent alors, grâce à l’étude de leurs histoires, de comprendre l’évolution de la société américaine depuis la Seconde Guerre Mondiale.
Par conséquent, l’objectif de ce mémoire est de montrer que les comics de super-héros méritent considération, et qu’ils représentent, pour nous autres Européens, une manière différente de comprendre la civilisation américaine. Ce travail se concentre spécifiquement sur le cas de Captain America, car il représente le symbole ultime des États-Unis d’Amérique. L’ambition de ce mémoire est alors de démontrer qu’il ne s’agit ni d’une caricature ni d’un personnage manichéen, contrairement à ce que l’on peut penser, particulièrement en Europe, et de déterminer ce que ses aventures révèlent de la société américaine et de son évolution depuis 1941. Ce personnage historique de la pop culture est-il toujours le reflet des débats contemporains ?
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Ce mémoire suit un déroulement chronologique, de la Seconde Guerre Mondiale aux conséquences des attentats du 11 septembre. Dans chaque partie, les aventures de Captain America sont étudiées à l’aune de l’histoire des États-Unis.
Avant de commencer à analyser le rôle de Captain America durant la Seconde Guerre Mondiale, il serait intéressant de se pencher sur le contexte historique de la naissance des super-héros. Le premier super-héros, Superman, apparaît pour la première fois en 1938, et est rapidement suivi par de nombreux autres tels que Batman, The Shield, Captain America… Pour Simon Merle"ref-3">"#note-3">[3], il ne s’agit pas d’une coïncidence s’ils voient le jour à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale. A cette époque, le peuple américain fait face aux graves conséquences économiques et sociales de la Première Guerre Mondiale, suivie par la crise de 1929. Qui plus est, les années 1930 sont caractérisées par la montée des nationalismes à travers le monde, menaçant ainsi les valeurs américaines de liberté et de démocratie. Ainsi, Merle suggère que la naissance des super-héros est en réalité l’expression du besoin de la population de voir de vrais héros luttant contre les idéologies fascistes et protégeant les valeurs qui leur sont chères.
Ainsi, la création de Captain America est la conséquence directe de la montée du nazisme en Europe. En effet, en 1941, le rédacteur en chef de Timely Comics demande à Joe Simon et Jack Kirby de créer un nouveau personnage dans le but de concurrencer Batman, dont les histoires sont publiées par Detective Comics. Simon et Kirby estiment que pour faire un bon héros, il faut avant tout un bon méchant, et, étant juifs d’Europe de l’est, ils se sentent préoccupés par la montée de l’antisémitisme en Europe et tombent d’accord sur le fait qu’Hitler ferait un excellent maître du mal. Ils réfléchissent ensuite à l’incarnation de son Némésis et réalisent qu’il s’agit des États-Unis d’Amérique eux-mêmes et des valeurs à l’origine de leur Constitution. Ils décident alors de créer un personnage qui incarnerait ces valeurs et le nomment Captain America, le défenseur de la liberté et de la démocratie"ref-4">"#note-4">[4].
Steve Rogers, l’alter ego de Captain America, est né le 4 juillet, jour de célébration de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis, de parents immigrés d’origine irlandaise, et vit à New-York, la ville la plus cosmopolite du pays, terre d’accueil de millions d’immigrants européens à la recherche « du bonheur et de la liberté », tel que le promet la Déclaration.
Mais Rogers, tout comme des milliers d’autres immigrés européens, n’a rien. Ses parents sont morts, il vit à Brooklyn, il est pauvre, n’a pas de travail et ne rêve que de pouvoir servir son pays, qui fait face à de plus en plus d’attaques perpétrées par des espions allemands sur son propre sol. Mais en plus d’être désargenté, Rogers est également chétif. Il tente à plusieurs reprises de s’engager mais l’armée l’éconduit systématiquement en raison de sa faible constitution. Néanmoins, grâce à sa volonté de fer, à son courage, et à sa persévérance, l’armée lui offre la possibilité de participer à une expérience scientifique destinée à accroître sa carrure et son intelligence, et à en faire ainsi un super-soldat, nommé Captain America"ref-5">"#note-5">[5].
Roger, fils d’immigrés, n’a donc d’autre désir que celui de servir son pays, et parce qu’il souhaite cela plus que tout au monde, parce qu’il est prêt à donner sa vie pour ce rêve, il l’atteint, réussit à se hisser sur l’échelle sociale et trouve sa place au sein de la société. Et c’est exactement cela que soutient la Déclaration d’Indépendance : « tous les hommes sont créés égaux » et ont le droit à « la vie, la liberté, et la recherche du bonheur »"ref-6">"#note-6">[6].
Ainsi, cette histoire du pauvre garçon qui devient le plus grand héros du monde représente un symbole pour tous les jeunes américains, qui, tout comme Rogers, ont parfois très peu de choses dans leur vie. Cela leur montre qu’aux États-Unis il est possible d’accomplir de grandes choses avec seulement du courage et de la détermination.
Malheureusement, le scientifique à l’origine du sérum de super-soldat meurt quelques minutes après la transformation de Roger, assassiné par un espion allemand. En conséquence, Rogers est condamné à demeurer l’unique super-soldat de l’armée américaine, un statut qui alourdit la responsabilité qui pèse sur ses épaules : il est le seul à pouvoir sauver le pays de la menace nazie.
Contrairement à ce que l’on peut penser, la propagande n’est pas une prérogative gouvernementale. En effet l’Encyclopædia Britannica qualifie la propagande de « the more or less systematic effort to manipulate other people’s beliefs, attitudes, or actions by means of symbols (words, gestures, banners, monuments, music, clothing, insignia, hairstyles, designs on coins and postage stamps, and so forth). » (« effort plus ou moins systématique dans le but de manipuler les croyances, attitudes ou actions d’autrui par le biais de symboles (mots, gestes, bannières, monuments, musique, vêtements, insignes, coupes de cheveux, designs de pièces ou de timbres…) »)"ref-7">"#note-7">[7]. Ainsi, selon cette définition, les comics peuvent être considérés comme des outils de propagande.
Par conséquent, bien que Captain America n’ait pas été créé par le gouvernement américain, il peut être considéré comme un personnage de propagande. Conçu en tant que Némésis d’Adolphe Hitler, on le voit frapper ce dernier en pleine figure sur la couverture du premier numéro"ref-8">"#note-8">[8], les dimensions politiques et idéologiques de sa création apparaissent alors comme évidentes. Joe Simon et Jack Kirby, à travers le personnage de Captain America, dénoncent le nazisme, le Troisième Reich et la montée des nationalismes, qui représentent une menace pour les valeurs américaines : la liberté et la démocratie.
De plus, comme expliqué plus haut, l’unique raison de vivre de Rogers est de protéger les valeurs américaines contre les espions allemands et japonais, la seule chose pouvant le rendre heureux est de combattre pour son pays. Le premier numéro de Captain America ayant été publié seulement quelques mois avant l’entrée en guerre des États-Unis, il est facile de considérer cela comme un message de propagande destiné à encourager les jeunes américains à s’engager. En effet, le message est limpide : le seul moyen pour ces jeunes d’être heureux doit être de combattre pour protéger les États-Unis.
C’est ainsi que Captain America devient le personnage patriotique ultime, et le symbole de cette guerre idéologique : la liberté et la démocratie face au fascisme et à la dictature. Affublé d’un costume rouge, bleu, et blanc, aux motifs du drapeau américain, les étoiles et les rayures, ainsi que d’un bouclier assorti, il représente véritablement le pouvoir et les valeurs des États-Unis sur le champ de bataille.
Après l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941, le rôle patriotique de Captain America se renforce et les comics se mettent à promouvoir l’effort de guerre sous toutes ses formes. On trouve par exemple dans certains numéros de Captain America des messages encourageant les enfants à participer à l’effort de guerre en recyclant le papier"ref-9">"#note-9">[9].
Par ailleurs, les comics de guerre sont également très populaires auprès des soldats présents sur le champ de bataille, il est en effet bon pour leur moral de sentir la présence de super-héros (La Torche Humaine, Namor, Superman, et bien sûr Captain America) à leurs côtés, notamment parce qu’ils peuvent s’identifier à eux, et particulièrement à Captain America car, tout comme eux, son alter ego Steve Rogers est un humble soldat et citoyen américain souhaitant simplement servir son pays. Afin d’attirer un lectorat plus jeune, Simon et Kirby introduisent dès le second numéro le personnage de Bucky Barnes, un adolescent combattant aux côtés de Captain America. A nouveau, l’objectif est de permettre aux plus jeunes de s’identifier au personnage.
Même si Captain America combat occasionnellement des ennemis européens et des terroristes nationaux, son grand ennemi reste Crâne Rouge le dirigeant nazi des opérations terroristes, sous les ordres directs d’Hitler.
Crâne Rouge est le petit protégé du Führer, qui le prend sous son aile alors qu’il n’est qu’un jeune adolescent pour en faire le plus grand soldat du Troisième Reich. Crâne Rouge devient finalement le véritable Némésis de Captain America en raison de sa haine profonde envers le patriotisme américain.
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Dès lors, le personnage prend de plus en plus d’importance jusqu’à devenir un des méchants les plus emblématiques de l’univers Marvel. L’immortalité du personnage témoigne d’une chose : la crainte du nazisme n’a jamais cessé d’exister. Cela nous montre que cette idéologie est à l’origine d’une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’humanité et que les Américains en portent toujours les séquelles.
En 1975, Crâne Rouge fait son grand retour à l’occasion des 30 ans du parti Nazi, et organise une série de meurtres afin de faire couler les États-Unis"ref-10">"#note-10">[10]. Son plan machiavélique représente le tournant qu’a pris le monde à la suite de la Seconde Guerre Mondiale. En effet, Crâne Rouge explique dans Captain America 1, no. 184"ref-11">"#note-11">[11] que son projet est d’assassiner les décideurs économiques des États-Unis car, dans cette nouvelle ère, le seul moyen de gagner une guerre est de la combattre sous l’angle économique et non plus militaire. Cette remarque très pertinente met en lumière le nouvel ordre mondial et sa complexité. La Guerre Froide, la création d’organisations internationales telles que le FMI ou l’OMC, l’avènement de la société de consommation et le développement du commerce mondiale nous montrent que l’origine même du pouvoir des États-Unis provient de sa supériorité économique, qui lui a ensuite permis d’exercer sa domination sur le reste du monde. Crâne Rouge a conscience de ce phénomène et souhaite alors faire descendre les États-Unis de leur piédestal en assassinant ceux qui décident des politiques économiques.
Crâne Rouge, parce qu’il incarne la plus grande menace que l’humanité ait jamais connue, qu’il voue une haine profonde aux valeurs américaines, et s’adapte aux évolutions de la société, représente un ennemi intemporel.
Tout au long de la Seconde Guerre Mondiale, Captain America joue le rôle du héros patriotique luttant pour défendre les valeurs Américaine contre les forces de l’Axe. Mais une fois la guerre finie, on peut se demander ce que devient le rôle d’un super-soldat.
Les comics de guerre arrêtent de se vendre une fois la guerre terminée, les lecteurs se détournent de ces histoires et se plongent dans d’autres genres littéraires : principalement de l’horreur, de la romance et du polar. Duncan et Smith appellent cette période « L’Ère de la diversification »"ref-12">"#note-12">[12].
Les comics de Captain America, qui se vendaient par millions durant la guerre, ne rapportent plus rien et les publications s’arrêtent en 1950"ref-13">"#note-13">[13].
Il est d’autant plus important pour Atlas Comics, le successeur de Timely Comics, d’arrêter une série qui n’est plus rentable que les éditeurs doivent faire face à d’autres problèmes. En effet, dès 1948, la population américaine commence à critiquer les comics et à les accuser de faire la promotion de la violence et du sexe, et de pervertir ainsi la jeune génération. Cette panique morale atteint son paroxysme en 1954 avec la publication de Seduction of the Innocent: The Influence of Comic Books on Today's Youth (« La Séduction des innocents : L’Influence des comics sur la jeunesse d’aujourd’hui »), par Fredric Wertham's"ref-14">"#note-14">[14]. Dans son livre, l’auteur accuse les comics d’être une des causes à la délinquance juvénile. Bien que tous les parents n’aient pas lu ce livre, tous reçoivent le même message de la part des médias : les comics sont mauvais pour les enfants.
Durant l’été 1954, le Senate Subcommittee to Investigate Juvenile Delinquency (sous-comité sénatorial chargé de la délinquance juvénile) conclut que les comics font l’apologie du crime, de l’horreur et de la violence, et qu’ils doivent être, par conséquent, interditsDUNCAN, Randy, J. SMITH Matthew, The Power of Comics. History, Form & Culture, New-York, Continuum, 2009, p.39.
Les éditeurs de comics, dos au mur, décident de prendre les devants et de créer le Comics Code Authority (L’Autorité du Code des Comics) en octobre 1954 afin d’éviter de tomber sous la réglementation d’une organisation gouvernementale"ref2"/>. Dès lors, les comics jugés violents ou sexuellement explicites sont bannis, ce qui représente un coup dur pour de nombreux éditeurs, particulièrement pour ceux dont les histoires d’horreur sont très populaires. Atlas Comics, tout comme ses concurrents, doit repenser l’intégralité de sa ligne éditoriale, et la course aux nouveaux genres littéraires débute entre les éditeurs"ref-15">[15].
En dépit de ces événements, en 1954, la guerre contre le communisme prend de plus en plus d’importance et offre à Atlas Comics l’opportunité de réintroduire Captain America. Ainsi, le personnage fait sa première réapparition dans la série Young Men en 1953, puis dans sa propre série intitulée Captain America... Commie Smasher! (Captain America… Casseur de Coco !) en 1954. Comme durant la Seconde Guerre Mondiale, il n’y a aucune ambiguïté quant à la dimension politique de ses aventures, éminemment anti-communistes. Les auteurs tentent en effet de recréer la recette à l’origine du succès de la série dans les années 1940, ainsi, Captain America et Bucky font face à la menace communiste sur le sol américain puis quittent le pays pour combattre les Soviets directement en Europe.
La lecture de ces comics nous permet d’identifier les menaces qui pèsent à cette époque sur la société. La menace nucléaire, notamment, est prise très au sérieux et apparait dans de nombreuses histoires. Dans le numéro 24 de Young Men"ref-16">"#note-16">[16] par exemple, Cap’ et Bucky se rendent au Nevada, où des tests nucléaires sont conduits, afin d’empêcher des espions soviétiques de mettre la main sur le secret de l’arme atomique.
Cette nouvelle série reproduit donc fidèlement le modèle « propagande » de la série des années 1940. Même Crâne Rouge, l’ennemi nazi ultime, fait son retour après être devenu un agent communiste"ref-17">"#note-17">[17].
Mais cette fois-ci la formule ne fonctionne pas et la série est abandonnée au bout de trois numéros. Les intrigues sont trop simplistes, trop courtes, ne permettent pas d’approfondir les scénarios ni de développer les personnages. Les histoires, bourrées de messages de propagande, ne racontent que des combats contre des ennemis purement diaboliques, caricaturaux, grotesques et manquant de crédibilité. Mais au-delà des défauts de narration, le lectorat n’adhère pas au discours chauviniste qui avait si bien marché dans les années 1940. Bradford Wright, dans son livre Comic Book Nation: The Transformation of Youth Culture in America (La Nation des comics : La Transformation de la culture des jeunes en Amérique) apporte une explication à cet échec : « Comic book makers overestimated the size of the audience prepared to accept such naïve presentations of the Cold War. As the enormous popularity of crime comic books had already demonstrated, the postwar comic book market had not only grown, it had grown up. Even young people understood that the Cold War was not going to be won as quickly and easily as the comic book version of World War II. » (« Les auteurs de comics ont surestimé la taille de l’audience prête à accepter un portrait aussi naïf de la Guerre Froide. Comme l’a montré la croissance des comics de polar après la guerre, le marché des comics n’a pas seulement mûri, il a également grandi. Même les plus jeunes ont compris que la Guerre Froide n’allait pas être gagnée aussi rapidement et aisément que la Seconde Guerre Mondiale dans les comics. »)"ref-18">"#note-18">[18]
Richard Stevens"ref-19">"#note-19">[19], dans sa propre analyse, affirme que l’Amérique, qui connait à cette époque une période de croissance économique et qui voue une totale confiance à son armée, ne ressent plus le besoin de voir des super-héros se battre pour protéger le pays et ses valeurs.
Ainsi, le Captain America des années 1950, pâle copie du Captain des années 1940, échoue à cause de son manque d’adaptation aux nouvelles mentalités et aux nouvelles attentes des lecteurs. Captain America ... Commie Smasher! est alors définitivement abandonnée en septembre 1954.
En novembre 1963, Stan Lee, l’éditeur en chef de Marvel Comics, le nouveau nom d’Atlas Comics, a l’idée de faire apparaitre Captain America dans le numéro 114 de Strange Tales"ref-20">"#note-20">[20]. En réalité, il ne s’agit pas du vrai Captain America mais d’un imposteur se faisant passer pour lui, mais le lectorat ayant répondu positivement à l’apparition du personnage, Stan Lee décide qu’il est temps de réintroduire le Captain America original dans l’univers Marvel"ref-21">"#note-21">[21]. Ainsi, dans Avengers No. 4"ref-22">"#note-22">[22], les membres des Avengers découvrent un Captain America congelé dans la glace du Pôle Nord. Le héros est ramené à la vie et leur raconte que, lors d’une mission, Bucky et lui se sont retrouvés pris au piège sur un avion ennemi. Son coéquipier meurt dans l’explosion du véhicule mais lui chute dans les eaux glaciales et est maintenu en vie grâce au sérum de super-soldat qui lui permet de rentrer dans un état de biostase. Seulement, cette aventure s’est produite en 1944, qui est alors le Captain America des années 1950 ?
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Dans un premier temps, Stan Lee décide simplement d’ignorer les aventures de Captain America des années 1950 car elles ont rencontré un piètre succès, et estime que la meilleure chose à faire et de les laisser sombrer dans l’oubli. Mais en 1972, Steve Englehart, un jeune scénariste, décide de reprendre les histoires de Captain America... Commie Smasher! et de les intégrer dans la continuité de l’univers Marvel. En résultat, dans Captain America 1, no. 153 - 156"ref-23">"#note-23">[23], Engelhart réécrit les histoires des années 1950 sous un nouvel angle : après la disparition du Captain America original en 1944, Burnside, un fervent admirateur du super-héros décide de consacrer sa vie à l’étudier. Au cours de ses recherches, il tombe sur la formule du super-soldat et décide de se l’injecter puis de reprendre l’identité de Captain America. Mais, nous raconte Englehart, Burnside s’est en réalité administré une version non-aboutie du sérum et devient fou, paranoïaque et ultra-violent. Il commence à voir des espions communistes partout et devient progressivement un danger pour la population. Le gouvernement décide finalement de le placer en cryostase en 1954, en attendant de trouver un remède. Mais en 1972, un membre du gouvernement, exaspéré par la politique de Nixon, qui prône à cette époque un apaisement des relations avec le Bloc Est, décide de réveiller le Captain America des années 1950, convaincu que cela permettrait de mettre fin à la menace communiste. Englehart fait donc de William Burnside un être exécrable, excessivement violent, raciste et aveuglé par la haine.
Il n’est pas difficile de voir dans cet arc narratif une critique du Maccarthysme, qui atteint son paroxysme en 1954 avec le procès du Sénateur Joseph McCarthy"ref-24">"#note-24">[24]. On voit donc dans ces histoires que les comics de Captain America peuvent être autre chose que des outils de propagande ou des supports de divertissement, ils peuvent être égalment de véritables instruments de critique de la politique américaine et de ses erreurs passées. Jason Dittmer"ref-25">"#note-25">[25] explique que cet arc narratif illustre la confrontation entre une Amérique conservative et une Amérique progressiste.
Comme nous l’avons vu dans la partie précédente avec l’exemple de Captain America face à son alter ego des années 1950, les comics de Captain America peuvent prendre une dimension politique et sociale. Sans surprise, c’est l’auteur de cette intrigue, Steve Englehart, qui aborde le plus de questions politiques dans ses comics, et c’est en 1974 que son histoire la plus célèbre est publiée. Elle raconte comment Captain America lutte contre l’Empire Secret, une organisation secrète qui a infiltré la Maison Blanche et dont l’objectif est de gouverner l’Amérique avec les pleins pouvoirs. Ce scénario est une référence évidente au scandale du Watergate qui bouleverse profondément la société américaine et altère la confiance du peuple en son gouvernement. Dans Captain America 1, no. 169-175"ref-26">"#note-26">[26], Cap’ est la victime d’un complot : il est accusé de meurtre et condamné à la prison, d’où il ne pourrat empêcher l’Empire Secret d’exécuter son plan machiavélique. Mais, bien entendu, Cap’ réussit à les vaincre, et au moment où il se retrouve face au leader de l’Empire Secret, il découvre qu’il s’agit en réalité du président des États-Unis en personne, qui souhaitait acquérir encore plus de pouvoirs que ceux déjà octroyés par son statut. Tout comme Nixon, il voulait être un président plus indépendant, n’ayant de comptes à rendre à personne, et encore moins à la justice.
Tenter d’enfreindre les règles mises en place par la séparation des pouvoirs est complètement anticonstitutionnel, et peut être perçu comme une attaque contre les principes de l’Amérique. Ainsi, Captain America, en tant que protecteur de ces principes, représente la victime ultime d’une telle conspiration, et Steve Rogers lui-même cesse de croire en Captain America. Dans les comics, Englehart insiste beaucoup sur la dualité du personnage : Rogers représente le citoyen américain moyen, tandis que Captain America représente le gouvernement américain. Alors, Rogers, un citoyen trahi par le gouvernement, rejette son alter ego car il ne veut plus être associé à la Maison Blanche. En conséquence, dans Captain America 155"ref-27">"#note-27">[27], Cap’ abandonne son uniforme et décide de vivre une vie normale, loin de la politique. Lorsque ses coéquipiers essaient de le raisonner, il leur répond simplement que Captain America représente le rêve américain et que ce dernier a été détruit par le gouvernement, Captain America ne peut donc plus exister. Il est difficile d’être le symbole du patriotisme lorsque le patriotisme est dépassé, et parfois même perçu comme une forme de nationalisme.
Rogers essaie de vivre une vie normale durant plusieurs numéros mais son destin de héros finit par le rattraper. Il refuse néanmoins de reprendre l’uniforme de Captain America car il a été sali par les agissements du gouvernement, et décide alors de se créer une nouvelle identité de super-héros pour prouver qu’il n’a rien à voir avec la Maison Blanche, et prend le nom de Nomad"ref-28">"#note-28">[28]. Mais alors qu’il est en mission dans le Pacifique, Crâne Rouge refait surface pour semer la terreur aux États-Unis. Lorsqu’il revient, il réalise qu’il a abandonné les citoyens américains et décide de reprendre le costume de Captain America, mais en proclamant clairement être indépendant et ne rien vouloir avoir à faire avec le gouvernement"ref-29">"#note-29">[29]. Et c’est ainsi que, Captain America, le héros de l’Amérique, devient le héros des Américains. Sa mission demeure la même : protéger la liberté et la démocratie, mais désormais de façon indépendante. Cette décision illustre le gouffre qui se créé entre le peuple et le gouvernement dans les années 1970, ainsi que l’intensification des mouvements contestataires et antisystème.
Les comics de Captain America n’illustrent pas seulement les crises politiques auxquelles le pays fait face, mais également les questions sociales qui créent des divisions au sein de la population, dont le meilleur exemple est celui du racisme et de la ségrégation.
Ainsi, à partir de 1971, Captain America fait officiellement équipe avec le premier super-héros Afro-Américain, Le Faucon"ref-30">"#note-30">[30]. La population noire est à l’époque sous-représentée dans les comics et l’introduction de ce personnage dans une des séries Marvel les plus vendues ouvre la possibilité de détruire les stéréotypes et dénoncer la ségrégation, qui, en dépit du Civil Right Act de 1964, continue d’exister"ref-31">"#note-31">[31]. L'alter ego du Faucon, Sam Wilson, vit à Harlem où il est assistant social. On le voit évoluer au sein de la population Afro-Américaine de New-York et gérer les problèmes habituels auxquels elle fait face. Les comics abordent notamment la question des injustices régulièrement subies par les Afro-Américains face à la police ou au système judiciaire. Ainsi, lorsque Sam Wilson est accusé d’avoir fait du trafic de drogue dans sa jeunesse, il répond à Captain America qui essaie de le convaincre de se présenter devant le juge : « Bull! I may have been out of it for six years, but Snap Wilson remembers how white courts treat blacks, mister! I’d rather bank on trying to escape! » (« N’importe quoi ! J’ai peut-être été absent pendant six ans, mais Snap Wilson se souvient comment les tribunaux de Blancs traitent les Noirs, monsieur ! Je ferais mieux de miser sur mon évasion »)"ref-32">"#note-32">[32].
Alors que Captain America est ostensiblement impliqué dans le combat contre le racisme, il ne prend pas réellement position sur la question du féminisme, probablement car les auteurs sont, encore aujourd’hui, essentiellement des hommes. On peut néanmoins apercevoir un léger changement d’attitude entre les années 1970 et 1980.
Au début des années 1970, Steve Rogers est en couple avec Sharon Carter, une femme avec un doctorat en métaphysique et un excellent poste au sein du S.H.I.E.L.D., une agence de sécurité gouvernementale. Les auteurs pensent avoir créé un personnage féminin féministe fort, mais Sharon Carter incarne en réalité tous les clichés sexistes véhiculés par la société. Lorsqu’elle commence à sortir avec Rogers, elle décide de démissionner afin de passer plus de temps avec lui, alors que Rogers n’envisage pas d’abandonner le rôle de Captain America, ce qui la contrarie car elle passe alors ses journées seule à la maison à penser à lui. Lorsque Rogers se retire du super-héroïsme après les scandales du Watergate et de l’Empire Secret, elle se réjouit et déclare n’avoir jamais été aussi heureuse. Mais Rogers reprend finalement sa carrière de super-héros en devenant Nomad, et Carter, mécontente, refuse de le soutenir"ref-33">"#note-33">[33]. Il semble alors clair que Carter incarne en réalité une vision sexiste de la femme, délaissant sa brillante carrière pour se consacrer à son rôle de femme et espérant que son compagnon abandonne ses rêves pour laisser plus de place à leur amour.
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Dans les années 1980 cependant, Captain America est en couple avec Bernie Rosenthal, un personnage véritablement féministe. Bernie est une artiste qui décide de reprendre des études de droit avec l’ambition de devenir avocate. Lorsqu’elle comprend qu’il n’y a pas de place dans la vie de Roger pour une histoire d’amour, elle rompt avec lui et déménage dans une autre ville pour poursuivre ses études"ref-34">"#note-34">[34]. Bernie est donc un personnage indépendant qui ne passe pas sa vie à attendre le grand amour tel une princesse dans un donjon. Elle prend sa vie en main, se fixe des objectifs et se donne les moyens de les atteindre.
Durant les années 1970 et 1980, Steve Rogers incarne un personnage socialement moderne et progressiste, surnommé le « Liberal Crusader » (« Le Partisan du Progrès ») par Richard Stevens"ref-35">"#note-35">[35]. Il apparait comme un symbole de paix, de tolérance, de justice et d’égalité. Les discours véhiculés dans ses comics peuvent paraître excessivement optimistes, idéalistes, voire utopique, et Captain America peut être jugé trop parfait. Mais la réalité n’est pas si simple, et certains auteurs comme Mark Gruenwald ou David Michelinie nous montrent que la philosophie de Captain America n’est pas absolument parfaite et questionnent son positionnement progressiste.
Nous avons vu par exemple que Cap’ était contre la ségrégation et militait en faveur de l’intégration des Noirs dans la société. Dans Avengers 1, no. 181"ref-36">"#note-36">[36], le gouvernement impose aux Avengers de respecter les quotas pour les minorités et leur ordonne d’intégrer un super-héros noir. Ainsi, Le Faucon rejoint les Avengers alors qu’il n’a jamais travaillé avec eux, ne connaît aucun des membres (sauf Captain America avec qui il travaille depuis longtemps déjà), et préfère généralement opérer seul. Les Avengers, et particulièrement Œil-de-Faucon qui est renvoyé de l’équipe pour laisser sa place au Faucon, trouvent cela injuste.
C’est alors à Captain America que revient la responsabilité de convaincre Le Faucon de rejoindre l’équipe après que ce dernier ait décliné l’invitation : « Blast it Steve, I’ve proven myself as a superhero! And I don’t like being chosen to fill a quota » (« Laisse tomber Steve, j’ai fait mes preuves en tant que super-héros ! Et je n’aime pas être choisi pour remplir un quota. »)"ref-37">"#note-37">[37]. Le Faucon finit par céder mais ne réussit jamais à s’intégrer dans l’équipe et fait quelques erreurs qui compromettent plusieurs missions. Dans le même temps, les compétences d’Œil-de-Faucon se révèlent plus indispensables que prévu et les Avengers commencent à regretter leur ancien coéquipier. Lors de ces événements, Captain America n’exprime aucune opinion et accepte en silence la décision du gouvernement. Le Faucon ne se sent pas soutenu et commence à se considérer comme un fardeau, puis finit par quitter l’équipe dans Avengers 1, no. 194"ref-38">"#note-38">[38]. Cette intrigue illustre les controverses autour de la politique de la discrimination positive : ici, Le Faucon est contraint d’intégrer une équipe plus qualifiée que lui, alors que cette décision ne profite à personne, ni aux Avengers, ni au Faucon lui-même.
Un autre des grands combats de Captain America au cours des années 1980 est celui pour la liberté d’expression. Selon lui, il s’agit d’un droit fondamental et inaliénable. Mais en 1982, Rogers, accompagné de Bernie Rosenthal et d’Anna Kappelbaum, arrive dans une synagogue vandalisée par des néo-nazis. Bernie et Anna, toutes deux juives, condament immédiatement le crime, mais Rogers leur répond : « I agree that these neo-Nazis are a vile breed — but, if we deny them their rights, where do we draw the line? Who decides which beliefs are acceptable and which aren’t? A free society has to allow ALL ideas — both noble and ignoble — freedom of expression! » (« Je suis d’accord pour dire que ces néo-nazis sont une sale engeance—mais si on renie leurs droits, où plaçons-nous la limite ? Qui décide des croyances qui sont acceptables ou non ? Une société libre doit autoriser TOUTES les idées — à la fois nobles et ignobles — liberté d’expression ! »"ref-39">"#note-39">[39]. Cette situation interroge sur les limites de la liberté d’expression et est d’autant plus frappante que Captain America représente l’ennemi ultime du nazisme, ayant été le Némésis d’Hitler durant la Seconde Guerre Mondiale, mais malgré cela, il défend leur droit d’exprimer leur opinion.
En conclusion, plusieurs décennies après la Seconde Guerre Mondiale, événement à l’origine de la naissance de Captain America, ce dernier est toujours un symbole politique. Néanmoins, le personnage est devenu plus complexe et plus subtil. Il n’incarne plus la perfection comme c’est le cas dans les années 1940. Rogers réfléchit énormément et ses croyances sont sans cesse remises en question. Les auteurs expriment ainsi leur volonté d’exposer les faiblesses autant que les forces du système américain, à une époque où le pays embrasse son rôle de leader mondial.
Comme expliqué dans la partie II, Captain America prend ses distances avec le gouvernement à partir des années 1970, suite à son affrontement avec l’Empire Secret. Il ne prend part à aucune guerre, que ce soit au Vietnam ou en Irak au début des années 1990, et ses histoires abordent plutôt des problématiques nationales telles que le racisme, la pauvreté, la corruption ou le crime organisé. Ses intrigues font le portrait d’une Amérique divisée dans laquelle Captain America, personnage marqué par une ère de patriotisme et d’unité nationale, a du mal à trouver sa place.
Puis, le 11 septembre 2001, les attentats à New-York et contre le Pentagone bouleversent l’Amérique. Le pays entre en guerre contre la terreur.
Dans les comics relatant les événements du 11 septembre, la réalité prend le pas sur la fiction. Habituellement, les auteurs s’inspirent de la réalité pour créer leurs scénarios, mais dans le cas des attentats du 11 septembre, il s’avère impossible de romancer les événements et les auteurs décident de raconter la réalité et l’horreur telles qu’ils la vivent.
Ainsi, dans Captain America 4, no. 1RIEBER, J.N. and CASSADAY, John, “Enemy, Part One : Dust”, Captain America 4, no. 1, New York, Marvel Comics, June, 2002, Cap’ est représenté au milieu des ruines en train d’essayer de secourir les miraculés, il est cependant habillé en civil, ce qui accentue le réalisme de la scène et montre que c’est le peuple américain qui a été touché par ces attaques.
Un peu plus tard, lorsqu’il retourne chez lui, il sauve un jeune musulman d’une attaque dont les auteurs souhaitent venger des proches décédés durant les attentats. Cap’ s’interpose et leur déclare : « I understand you want justice. This isn’t justice. We’re better than this. Save your anger for the enemy » (« Je comprends que vous vouliez la justice. Ceci n’est pas la justice. Nous valons mieux que ça. Gardez votre colère pour l’ennemi. » Mais, détail primordial, il est cette fois-ci vêtu de son uniforme, ce qui donne une dimension officielle à son message de paix, d’unité et de solidarité. Il ne s’agit pas de l’opinion d’un civil, mais de l’injonction d’un représentant du pays. Captain America demande ainsi officiellement aux citoyens américains de s’unir, d’éviter les amalgames, et de ne pas se laisser aveugler par la haine.
L’objectif du premier numéro de Captain America paru après les attentats du 11 septembre est de rendre hommage aux victimes ainsi qu’aux « vrais héros de l’Amérique »"ref-40">"#note-40">[40] : pompiers, policiers, infirmiers… et de véhiculer un message de paix et de solidarité. Mais très rapidement, les attentats et la guerre contre le terrorisme deviennent le sujet principal des nouvelles aventures de Captain America : c’est le retour des comics de guerre. Mais cette fois-ci, Marvel aborde le sujet avec plus de subtilité que dans les années 1940 et 1950, alors que la Seconde Guerre Mondiale était une guerre « du bien contre le mal », la guerre contre le terrorisme s’avère plus complexe.
Le sujet de la guerre contre le terrorisme est tellement complexe que les auteurs de Marvel écrivent plusieurs scenarios différents afin de l’aborder sous plusieurs angles.
Dans Captain America 4, no. 2"ref-41">"#note-41">[41], sept mois après les attentats du 11 septembre, des terroristes prennent les habitants d’une petite ville en otage et demandent au gouvernement de leur livrer Captain America. Les terroristes veulent s’attaquer au rêve américain, détruire le mode de vie occidental et condamner les États-Unis pour leurs crimes. Assassiner Captain America, qui incarne le patriotisme et le rêve américain, est alors le symbole ultime de leur combat. Par ailleurs, la ville prise en otage n’est pas choisie au hasard, Centerville abrite de nombreux ouvriers travaillant dans une usine d’armement située en périphérie. L’objectif des terroristes est alors de faire payer les habitants pour leurs actes, en leur faisant subir les mêmes atrocités causées par leurs propres bombes au Moyen-Orient et dans d’autres régions du monde. Les auteurs visent ici directement la responsabilité des États-Unis dans ces attentats, sans pour autant justifier les agissements des terroristes. A l’issue de cette histoire, Captain America fait face à un homme qui a planifié un attentat massif contre l’armée américaine. L’homme, dont les parents sont morts durant la Guerre Froide, tués par des armes américaines, souhaite faire payer aux États-Unis le prix de soixante-dix ans d’intervention militaire à travers le monde.
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Dans cette première aventure post-attentats, écrite par John Ney Rieber, Captain America se méfie presque autant du gouvernement, qu’il soupçonne d’avoir un lien avec les attentats de Centerville, que des terroristes. Son objectif est de protéger les civils innocents, qu’ils soient américains ou étrangers, d’une guerre qui pourrait devenir la Troisième Guerre Mondiale. Plus que tout, il espère que les attentats ne mèneront pas les citoyens américains (ainsi que ceux des autres pays impliqués dans les hostilités) à se réfugier dans des nationalismes extrémistes qui mèneraient progressivement à la haine de l’Autre.
Alors que cette première histoire offre une intrigue complexe qui refuse de tomber dans la caricature « le bien contre le mal », la seconde relève sans aucun doute de la propagande. Alors que dans son scénario Rieber dénonce l’interventionnisme américain, les auteurs le promeuvent dans la série New Avengers : Marvel Salutes the U.S. Military. En effet, en 2005, Marvel décide de publier une série de comics gratuits dans le but de promouvoir la présence de l’armée américaine au Moyen-Orient. Les New Avengers, menés par Captain America, soutiennent « les vrais héros : les hommes et les femmes de l’armée américaine »"ref-42">"#note-42">[42]. Les comics, sur la couverture desquels apparait le logo officiel « America supports you » (« L’Amérique vous soutient ») (un programme du département de la défense des États-Unis qui donne aux citoyens américains l’opportunité d’exprimer leur soutien aux forces armées américaines), sont envoyés aux soldats sur le front afghan, exactement comme cela est fait avec les premiers comics de Captain America durant la Seconde Guerre Mondiale. Ici, aucune prise de recul sur la situation : les soldats américains sont les gentils, et les terroristes les méchants.
Cette dualité témoigne de la difficulté que rencontre Marvel à s’inspirer de la réalité pour créer de nouvelles intrigues tant elle est devenue complexe. En outre, le lectorat des comics de Captain America est composé de conservateurs, qui le considèrent comme un symbole patriotique, autant que de libéraux, qui voient en lui un personnage progressiste.
Il s’agit là d’un excellent exemple permettant d’illustrer l’Amérique divisée.
En 2007, Mark Millar approfondit encore plus la question de la division de l’Amérique avec son arc narratif Civil War"ref-43">"#note-43">[43].
Dans ce scénario, les super-héros sont accusés d’être incontrôlables et d’engendrer des dommages collatéraux excessifs lors de leurs affrontements avec des super-vilains. Suite à un combat ayant causé la mort de dizaines d’enfants, les citoyens se mettent à craindre réellement pour leur sécurité. Le gouvernement décide alors de promulguer une loi, The Superhuman Registration Act (La Loi de recensement des super-humains), qui impose aux super-héros de révéler leur identité secrète et d’intégrer une « super-police » sous les ordres du gouvernement. Cette loi contraint donc les super-héros à abandonner leur anonymat et leur indépendance. La communauté des super-héros se divise alors en deux camps : ceux en faveur de cette loi, menés par Iron Man, et ceux qui refusent de se soumettre, menés par Captain America.
Civil War est en réalité une référence aux débats sur le USA Patriot Act, une loi promulguée peu après les attentats du 11 septembre réduisant grandement les réglementations sur la mise sur écoute et la surveillance menées par les agences de renseignements, qui détiennent dès lors un accès à la quasi-totalité de la vie privée des citoyens américains. Le Patriot Act, tout comme le Registration Act, empiète sur les libertés individuelles des citoyens et leur droit à la vie privée, et c’est précisément pour ces raisons que Captain America s’oppose à la promulgation de cette loi, arguant « The Registration Act is another step toward government control and while I love my country, I don’t trust many politicians. Not when they’re having their strings pulled by corporate donors » (« Le Registration Act est un nouveau pas vers le contrôle gouvernemental, et bien que j’aime mon pays, je n’ai pas confiance en beaucoup de politiciens. Pas lorsqu’ils sont les pantins de donateurs privés »)"ref-44">"#note-44">[44].
Dans cette citation, Rogers soulève un autre débat contemporain du 21ème siècle : les gouvernements font passer les intérêts des grosses entreprises avant ceux des citoyens. En résultat, Captain America refuse de répondre aux ordres de l’État et devient le symbole de la « désobéissance civile »"ref-45">"#note-45">[45] : il décide de se soulever contre son propre gouvernement dans le but de protéger la liberté et la justice d’une loi qui va à l’encontre des deux valeurs sur lesquelles sont fondés les États-Unis d’Amérique.
L’équipe de Captain America organise un mouvement de résistance mais beaucoup sont violemment arrêtés par l’équipe d’Iron Man. Les prisonniers sont ensuite envoyés dans une prison construite au coeur de la Zone Négative, un univers parallèle où les lois américaines ne s’appliquent pas. Difficile de ne pas y voir une autre référence à l’administration Bush : la prison de Guantanamo, où des centaines d’individus sont emprisonnés illégalement sans le moindre procès.
Captain America est finalement arrêté, et assassiné juste avant son procès, évènement qui peut être interprété comme la mort du rêve américain au moment où les citoyens choisissent de sacrifier leur liberté au nom de la sécurité.
L’arc narratif Civil War met en lumière les profondes divisions entre une Amérique conservative, qui souhaite établir une société de surveillance, et une Amérique libérale, qui estime que cela va à l’encontre des libertés et des droits inaliénables du peuple Américain.
Cet arc nous permet également d’analyser l’évolution du personnage de Captain America : alors qu’il est l’ardent défenseur des politiques menées par le gouvernement américain dans les années 1940, Cap’ s’éloigne progressivement de la Maison Blanche jusqu’aux années 2000 durant lesquelles il devient un hors-la-loi, et l’homme le plus recherché du pays durant les événements de Civil War. Cap’ a-t-il changé ? Pas nécessairement, il se bat toujours pour défendre la liberté, la démocratie, ainsi que le rêve américain, et le fait est que, dans Civil War, l’État lui-même est devenu une menace pour ces valeurs. Civil War nous apprend donc qu’être américain signifie avant tout vouloir protéger ces valeurs essentielles, à l’origine même de la création des États-Unis d’Amérique. Ainsi, cet arc nous amène à remettre en question le système américain, qui est un modèle pour de nombreux autres pays occidentaux : les États-Unis sont-ils toujours un pays démocratique ? Sommes-nous prêt à sacrifier notre liberté au nom de la sécurité ? Le mot « loi » signifie-t-il systématiquement « justice » ?
Aux yeux d’une personne ni américaine, ni lectrice de comics, Captain America apparait dans un premier temps comme un personnage manichéen, patriotique, voire nationaliste. Mais en lisant ses histoires et en les replaçant dans leur contexte historique, on s’aperçoit que le personnage est en réalité bien plus complexe qu’il n’en n’a l’air. Ayant été créé il y a plus de soixante-dix ans, il est possible de lire au travers de ses nombreuses aventures l’évolution de la société américaine, les débats auxquelles elle fait face et les âges qu’elle traverse. Captain America est né lors d’une période d’unité nationale, dans un contexte de guerre mondiale, et vit aujourd’hui au sein d’une Amérique divisée. Le personnage évolue avec les années, il tente de s’adapter aux mutations de la société tout en demeurant fidèle aux valeurs fondatrices des États-Unis, quitte à devenir l’ennemi numéro un de son propre pays.
Jamais Steve Rogers ne trahit l’Amérique en laquelle il croit, une Amérique où les citoyens sont libres et égaux en droit. Au fond, les comics de Captain America permettent de confronter l’Amérique contemporaine avec l’image qu’en avaient les Pères Fondateurs en 1776.
La question qui mérite d’être posée à présent est la suivante : quelles seront les conséquences de l’administration Trump, qui représente une nouvelle menace pour les libertés individuelles et l’égalité entre les citoyens, sur les scénarios de Marvel Comics ?
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